De l’objet social

« Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ! », chantait mielleusement le générique d’un formidable film du même nom réalisé par Jean Yanne il y a une quarantaine d’années. On y voyait le patron cynique d’une station de radio repositionnant sa station sur le mode de la charité et de l’amour universels avec, évidemment, comme seul objectif, non pas les bons sentiments, mais… l’accroissement de la publicité. Il serait bon d’organiser, à la faveur des fêtes de fin d’année, une projection privée de ce petit bijou pour Nicolas Hulot, Bruno Le Maire et Emmanuel Macron, les deux premiers bien décidés à modifier le code civil pour que l‘objet social des entreprises soit élargi à « des préoccupations plus sociales et solidaires », le troisième étant hélas tenté de les suivre… Ce projet aussi mièvre que démiurgique a pour but, comme l’a dit Hulot de « faire en sorte que les principes et valeurs de cette économie sociale et solidaire, cette économie pionnière, celle qui tend la main, celle qui partage, celle qui préfère la coopération à la compétition, devienne désormais la norme et non plus l‘exception ». A vous tirer des larmes ! On serait tenté d’objecter au « ministre de la Transition écologique et solidaire » – intitulé baroque qui aurait dû dès l’abord nous faire craindre le pire – qu’il existe déjà toutes sortes de sociétés (ESUS, Scop, Scic…) permettant à leurs fondateurs de poursuivre, s’ils le souhaitent, des objectifs désintéressés dans un cadre fiscal d’ailleurs dérogatoire et favorable – si bien qu’on voit mal en quoi son projet répond à un besoin criant. On pourrait aussi lui faire remarquer que l‘article 1833 du code civil, celui qui vise l’objet social, dispose certes que la société doit « être constituée dans l‘intérêt commun des associés », mais aussi que « toute société doit avoir un objet licite » – naturellement, elle doit aussi respecter, dans son activité, toutes les dispositions légales dont on ne sache pas qu’elles soient, en France, en nombre spectaculairement insuffisant. On pourrait, enfin, lui opposer cette évidence que personne ne pourra sérieusement contrôler que les entreprises souscrivant, dans le futur objet social « élargi », à toutes sortes d’engagements admirables mais parfaitement vagues comme celui de poursuivre « l‘intérêt général économique, social et environnemental », les tiendront bien. Mais il y a pire. Le pire, c’est que nos ministres, en bons Français, sont empreints d’une culture politique héritée du catholicisme et du jacobinisme puis retrempée au marxisme qui interdit même d’imaginer qu’un bien public puisse être obtenu autrement qu’au terme d’une injonction spécifique à faire le bien, si possible exprimée par l’Etat ou écrite dans la loi. Dans cette culture française, a fortiori, on ne croit pas un instant qu’un agent économique souhaitant simplement faire son propre bonheur puisse également, fût-ce par surcroît et inintentionnellement, faire celui de la collectivité. C’est pourtant ce que nous montre à l’envi toute l’histoire du capitalisme : depuis deux cents ans, en cherchant bêtement à s’enrichir, les affreux associés de ces horribles entreprises à l’objet social égoïste ont permis à des milliards d’individus, en Occident, puis dans une grande partie du reste du monde, de gagner en prospérité et en bien-être dans des proportions inimaginables. La philosophie politique française a ici un sévère angle mort : dans la vision anglo-saxonne, qu’illustrent particulièrement Mandeville puis Adam Smith, l’alignement naturel des intérêts entre l’entrepreneur intéressé et la société dans son ensemble est tout simplement acté. On n’oppose nullement l’un à l’autre par principe. Si l’Etat doit parfois intervenir pour corriger un excès, c’est très rarement – pour éviter, par exemple, qu’un monopoliste se transforme en accapareur. En « période de croisière », les uns cherchent à s’enrichir, les autres en retirent produits nouveaux, baisse des prix et amélioration générale de leur condition. Bayer, inventeur de l’aspirine, Ford, introducteur de la première voiture pour tous, ou encore… Apple n’ont jamais été des philanthropes ! Mais l’humanité a considérablement bénéficié des efforts qu’ils ont faits pour accroître leurs profits.

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